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Droit social3 mars 2024
Un moyen de preuve illicite est désormais admis devant le juge civil

Revirement Jurisprudentiel : La Preuve Illicite Acceptée en Justice Civile

Focus sur un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 14 février 2024 ( Cass.soc 14 février 2024 n°22-23.073)

La Cour de cassation confirme le revirement de jurisprudence opéré par un arrêt rendu le 22 décembre 2023 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation et admet dorénavant que, dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits, voire un mode de preuve illicite.

Il en est ainsi notamment pour un employeur dans un procès en contestation par le salarié d’un licenciement pour faute grave.

Les faits et la procédure

Une salariée a saisi la justice afin de contester son licenciement pour faute grave.
Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur a soumis au juge les bandes vidéo du système de vidéosurveillance réalisé sur une période limitée de deux semaines sur la caisse de la salariée ayant conduit à révéler des anomalies graves sur cette courte période et donc à justifier la faute grave de son licenciement.

Ce contrôle avait été réalisé alors que le système de vidéosurveillance violait plusieurs règles : l’absence de consultation des représentants du personnel ; une information insuffisante des salariés sur l’objet du dispositif de vidéosurveillance mis en place au sein de la société.

La cour d’appel a déclaré cette preuve recevable, car la production des bandes vidéo ne portait pas une atteinte disproportionnée à la vie personnelle de la salariée.
La salariée a formé un pourvoi en cassation.

Repères : Loyauté de la preuve et droit « à la preuve », quel est l’état du droit ?

Afin de garantir au justiciable son droit d’accès au juge, la Cour de cassation a consacré un droit « à la preuve », c’est-à-dire la possibilité donnée aux parties à un procès de présenter leurs preuves.

La promotion d’un tel principe s’inscrit dans le souci de tenir compte des difficultés probatoires auxquelles peuvent être confrontés les justiciables pour faire la preuve de leurs droits. 

Toutefois, la Cour de cassation, dans le souci de garantir l’éthique du débat judiciaire, a fixé des limites à ce principe en consacrant en 2011, par un arrêt d’assemblée plénière, un principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation considérait que lorsqu’une preuve était obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle était recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne pouvait pas tenir compte de ce type de preuve.

Dans un arrêt du 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence. Elle accepte désormais que le juge civil puisse tenir compte, sous conditions, d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale et s’aligne ainsi sur la jurisprudence européenne. (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 20-20.648)

La question posée à la Cour de cassation

Est-ce qu’il doit être admis, sur le modèle de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’un moyen de preuve illicite dans l’obtention ou dans sa production peut, sous certaines conditions, être soumis au juge ?

Les nouvelles technologies ouvrent aux justiciables des perspectives supplémentaires sur la façon de rapporter la preuve de leurs droits, mais elles présentent aussi des risques inédits d’atteintes à des droits fondamentaux (vie privée, secret professionnel etc.).

La réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation admet que des moyens de preuve illicites peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable.

Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.)

Cette solution confirme le revirement de jurisprudence opéré par un arrêt rendu le 22 décembre 2023 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Elle s’inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse.

Jocelyne CLERC

Catherine HARNAY

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